Celine Elias à l'écrit

Celine Elias à l'écrit

5 mars 2012

 LUNDI 5 MARS 2012

 

 

Un lundi au travail.

 

On nous dit de partout que le pays est en crise, que le monde est en crise, qu'il n'y a pas assez de travail pour tout le monde, que nous sommes trop nombreux, que tout coûte trop cher, j'en passe et des meilleures.

Dans ce noir paysage, les politiciens en rajoutent des couches afin de faire croire qu'eux seuls ont LA solution. Campagne électorale oblige, tout y passe, y compris les mesures les plus démagogues et les moins réalistes, économiquement parlant.

Au quotidien, vous savez ce qu'il se passe ?

Je vais vous raconter mon lundi ordinaire, qui ressemble à quasiment tous les lundis depuis que je suis entrée dans cette entreprise, prestataire de service de nettoyage pour les entreprises et les hôtels de luxe. Sauf qu'aujourd'hui, on a battu tous les records !


Cathy X a été absente 2 nuits de suite à son travail sans raison aucune. Sans avoir averti personne. Jeudi soir, elle était soi-disant souffrante et le week-end précédent, elle s'était arrangée pour se faire remplacer par un collègue. Soit. En attendant, son travail n'a pas été fait. Cathy X. travaille la nuit pour entretenir et nettoyer un SPA dans un Palace bordelais. Quand son travail n'est pas fait, la direction du Palace tousse. Et vous savez ce que c'est quand un gros client tousse ? C'est un contrat en péril. Pourtant, Cathy X travaille là depuis des années. Bien sûr, tout le monde sait que c'est une casse-pieds. Quand mon entreprise a repris le marché de celle qui l'avait avant elle, elle a récupéré tous les employés...avec leur passif.


Premier travail à 8h55 (j'embauche à 9h) : appeler Cathy X pour savoir ce qu'il se passe. Elle a rappelé plus tard mon patron pour lui dire qu'elle n'était plus heureuse parce qu'il ne l'aimait plus !!! Pour l'histoire, Cathy X nous a mis plusieurs absences injustifiées et des arrêts maladie sur ses plannings depuis début janvier...d'où des courriers en recommandés peu aimables...quoique. 


J'apprends juste après qu'Alain Y n'est pas allé travailler non plus hier soir. Il paraît qu'il a de nouveau mal à son genou...ça fait un mois qu'il travaille 5 jours et se met en arrêt maladie pour cause de cheville foulée au foot pendant 10 jours et, étonnamment, de genou abimé au travail le lendemain de sa reprise. D'où un accident du travail qui coûte cher à tout le monde...sauf à l'employé ! Dois-je vous relater tous les détails ? Si oui, j'en ai des croustillants !

Du coup, tous les collègues d'Alain Y ont du travailler une heure de plus, en horaire de jour, et n'ont pas réussi à rattraper le retard. Ils ne sont pas très heureux et sont fatigués, les collègues d'Alain Y. Idem pour ceux de Cathy X qui prennent sur eux les réprimandes de la Direction. 


Second travail : appeler Alain Y et demander son arrêt de travail. Après maintes péripéties et insistances, je l'ai eu à 16h20. Il est arrêté jusqu'au 11 mars inclus. Merci Docteur !!!


Equipe de nuit prévue hier soir : 8. Equipe de nuit présente : 6.


Mais ce qui est passé est...passé. Admettons. On prend acte et on enrage. On doit mettre en place des cellules efficaces de surveillance de nos travailleurs de nuit afin que nous puissions les remplacer au pied levé même à 3h du matin. Mon patron et mes 2 collègues dorment avec leur téléphone portable sous l'oreiller depuis longtemps. Je comprends maintenant pourquoi. Je fais pareil.

Sauf que personne ne nous appelle pour des choses importantes. On appelle l'un pour un distributeur de papier WC défectueux, pendant la nuit ; on appelle l'autre pour une panne de voiture ou une grève des transports en commun. Mais on ne nous appelle JAMAIS pour prévenir d'une absence. On l'apprend après coup et ça me met dans une colère noire.


Ce n'est pas comme si nous avions sous la main des tonnes de personnel pour remplacer à tout moment n'importe qui. Ce n 'est pas comme s'il était facile de trouver du personnel acceptant de travailler la nuit pour faire du ménage. Vous savez qui nous avons pour ce genre de poste ? Des moldaves, des roumains, des bulgares, des turcs, des Slovènes, des Arméniens, des Russes, des Congolais, des....des gens qui ont des cartes de séjour chez nous pour travailler. Regroupement familial ou réfugiés politiques (je préfère les seconds aux premiers depuis quelques temps), ils viennent tous pour bosser.


Et je vois ce que je n'aimerais pas voir. Je vois un Viktor, un Roman, une Cristina, un Vigen, qui travaillent bien, ne sont jamais absents (sauf Cristina pour grossesse mais on la pardonne doublement car c'est le médecin du travail qui a ordonné son arrêt et non elle), et qui donnent le meilleur d'eux-mêmes pour garder leur emploi et y évoluer – comme Viktor et Cristina - parce que ces gens sont vraiment dans le besoin et pensent que seul le travail peut les aider.

Et puis, il y a tous les autres, les Français. Ceux qui ont bénéficié des largesses de l'Etat pour devenir Français ou qui le sont parce qu'ils sont nés dans « nos » îles.

Ceux-là ont tout compris au système. Ils en connaissent les rouages, les impératifs et les faiblesses. Ils savent qu'ils doivent se tenir à carreau pendant leur période d'essai et qu'ensuite, une fois en CDI, ils pourront rester chez eux aux frais de la princesse, comme on dit. La princesse que je suis (sans la jeunesse, le strass et le reste) en a marre de payer pour ceux qui ne payent pas les hospitalisations, les arrêts maladie, les consultations chez un médecin qui coûtent en moyenne 23€. Marre de payer pour que des gens qui ne veulent pas travailler prennent le boulot de ceux qui en ont besoin.

Car, voyez-vous, des Alain Y ou des Cathy X, j'en ai tout un vivier sans cesse renouvelé. Et quand je cherche des personnes pour les remplacer, j'ai un mal fou à trouver des candidats. Et ils sont où les chômeurs ???? 

Un lundi presque ordinaire s'achève et je retouche pour la 10ème fois un planning en 8 jours.

Alors je me demande sérieusement s'il y a de vrais chômeurs en France. Je me demande sérieusement s'il y a encore des gens qui sont prêts à prendre n'importe quel boulot pourvu qu'ils aient un salaire. Je me demande si le RSA et autres aides à l'emporte-pièce n'ont pas tué le travail car à force de vouloir aider ceux qui n'avaient plus rien, on a poussé ceux qui avaient quelque chose à ne plus vouloir travailler.

Je suis passée par là quand je gagnais plus au chômage qu'en travaillant. Je l'ai très mal vécu mais je n'avais pas le choix. Alors j'ai accepté ce qui me semblait absurde.


Ne serait-il pas temps de revoir toutes nos copies et de réguler plus intelligemment le travail et les aides sociales ? Je ne suis pas contre les aides mais encore faut-il qu'elles soient pondérées et motivées par autre chose que les poils dans les mains. On le sait tous, le travail c'est la santé mais ne rien faire c'est la conserver.

Sauf que le jour où il n'y aura plus de travail, il n'y aura plus de santé non plus.


Si vous connaissez quelqu'un sur Bordeaux qui accepte d'être agent de nettoyage ou femme de chambre, et qui veut bien travailler pour un salaire au-dessus du SMIC, SVP, faites-moi signe...


Je suis en train de perdre mon latin et mon humanité. Encore deux lundis comme aujourd'hui et je boucle mes valises pour partir...en Suisse !!!  

 

 


Céline

 



10/05/2012
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi