Celine Elias à l'écrit

Celine Elias à l'écrit

Reporter (roman)

PROLOGUE

 

 

 

 

Ce matin, mon réveil a sonné une première fois à 6h30 et je l’ai éteint d’un geste de mauvaise humeur. Il m’a rappelée à l’ordre 15 minutes plus tard, semblant m’houspiller de son bip monocorde d’avoir  voulu prolonger ma nuit. Il faut dire qu’il a interrompu un rêve dans lequel j’étais merveilleusement bien. Je HAIS le réveil ! Mais qu’à cela ne tienne, maintenant que je suis bel et bien sortie des torpeurs nocturnes, je dois me lever. Voyons…quel jour sommes-nous ? Mardi. Ca y est, je suis en phase avec le monde : nous sommes le mardi 11 septembre 2001 et il est 6h55 au 329 E.Street à Washington Je glisse lentement mes jambes en dehors du lit et m’étire avant de me rendre, comme tous les matins, dans la cuisine. Là, je me prépare un café expresso, un bol de céréales et sors de la maison récupérer mon journal quotidien que le jeune Samuel Gassman a dû lancer sous le porche quelques minutes plus tôt. Quelles sont les nouvelles du jour ? Je jette un œil distrait sur l’exemplaire encore emballé du « Washigton Post », tout en pensant : « encore deux jours ici et je rentre enfin chez moi, dans ma maison, à San Francisco ». La mer me manque, sa vue, ses odeurs, et même ses mouettes et ses cormorans. Ici, je suis étrangère, je suis de passage, pas vraiment impliquée, pas vraiment propriétaire des lieux. Et pour cause : cette maison m’est louée par le directeur de la chaîne qui m’emploie, Robert Yarski. Elle fait partie de son patrimoine familial, comme il dit. De fait, il en a hérité de ses parents, partis vivre une vie meilleure au soleil de Boca Raton. Or, lui et sa femme ont déjà un superbe manoir en Virginie et ils n’ont pas réellement besoin de cette maison qu’ils préfèrent louer aux collaborateurs de Robert. Collaborateurs privilégiés dont je fais partie…Il n’en demeure pas moins que je suis heureuse – que dis-je ? aux anges ! – de pouvoir quitter définitivement la capitale fédérale de mon beau ( ?) pays. Quand Robert m’a indiqué que mon nouveau poste était situé à San Francisco, je me suis retenue pour ne pas lui sauter au cou et l’embrasser ! Mais quand, en plus, il m’a expliqué la nature de mon poste, là, j’ai lâché la vapeur et lancé un « Waouh » enthousiaste et délirant. Pour encore 2 jours, je suis officiellement rédactrice en chef pour la chaîne « National Geographic ». Dès lundi, je prendrai mes fonctions de Directrice de la chaîne à San Francisco. Pas mal comme promotion, non ? Je souris en dégustant mon café. La vie est belle.  Depuis que j’ai cessé de courir le monde, je n’ai jamais eu d’autre motivation que d’établir ma carrière dans la ville où j’ai élu domicile il y a 6 ans de cela. C’est maintenant chose faite. J’ai 36 ans et je suis parvenue à mener ma vie professionnelle comme je l’entendais et comme je la voulais. Je sais désormais qu’il ne me reste plus qu’à…

Le téléphone. Belle invention que cet outil de malheur ! ! ! Toujours à sonner quand vous êtes occupé à faire autre chose. Vous n’avez jamais remarqué qu’il vous rappelle sa présence quand vous dormez, quand vous êtes sous la douche ou aux toilettes, quand vous faites l’amour, bref, toujours au mauvais moment. J’étais en train de planifier mon avenir, tout de même ! ! ! Bon, je décroche.

 

« Oui ? »

« Anna ? Je ne te réveille pas, au moins… »

« Bonjour, maman ! Non, tu ne me réveilles pas ! Qu’est-ce qu’il se passe pour que tu m’appelles de si bonne heure ? »

« Rien du tout. Je voulais juste te dire bonjour avant de partir travailler. »

« Et c’est tout ? ? ? »

« En fait, non ! »

« Je m’en doutais…Alors, c’est quoi ? »

« Comme tu le sais, je prends ma retraite à la fin de la semaine prochaine. »

« Oui. Et ? »

« Eh bien, avec ton père, nous organisons une petite soirée à l’occasion. Nous avons pensé que tu serais peut-être encore sur Washington à ce moment-là et que tu pourrais te joindre à nous… »

« Maman…Vas droit au but, pour une fois ! ! ! Qui veux-tu encore me présenter ? »

« Mais personne, ma chérie ! C’est juste une soirée entre amis… »

« Bien sûr ! Et parmi vos amis, il n’y en a aucun qui aurait la quarantaine et qui serait célibataire… ! »

« Je ne sais pas, peut-être…Je n’ai pas vérifié l’état civil de tout le monde, figures-toi ! »

« Ca serait vraiment une première, ça ! ! ! D’habitude, quand tu m’invites à l’une de vos soirées, tu sais généralement tout de tous. Et il y a TOUJOURS un célibataire charmant qui traîne dans le coin ! ! ! »

« C’est que tu nous inquiètes… »

« Ben voyons ! Ecoutes, maman, ne t’en fais pas pour moi. D’accord ? Je n’ai que 36 ans et mon horloge biologique n’est pas encore complètement détraquée. Et puis, il y a Mike qui vous a donné 2 beaux petits-enfants ! Ne soyez pas trop exigeants ! ! ! Lui, il y a mis le temps que je n’ai jamais eu. Mais, ça va changer sous peu. »

« Tu repars à San Francisco ? »

« Oui, vendredi matin. Et c’est définitif. »

« Tu veux dire qu’ils t’ont nommée Directrice de la chaîne à San Francisco ? C’est ça ? »

« Exact. J’ai eu la promotion ET la mutation tant attendue. »

« Tu dois être heureuse, alors… »

« Je le suis plus que jamais, maman. Et je le serais encore davantage si papa et toi décidiez de venir vivre en Californie. »

« Nous l’envisagions plus ou moins depuis un certain temps. Mais il est vrai que ta nouvelle situation va sans doute nous amener à prendre plus rapidement notre décision. »

« D’autant que vous pourrez voir Mike et les enfants plus souvent… »

« Nous pourrions nous installer entre Los Angeles et San Francisco ? »

« Bonne idée ! »

« Bon, je vais en parler très sérieusement à ton père dès ce soir. En attendant, je suppose que ta réponse est négative pour la soirée… »

« C’est à dire que…je ne sais pas, maman ! Je vais essayer de venir si cela vous tient tellement à cœur ! Mais je t’avertis : pas de coup en douce ! ! ! Promis ? Sinon, je repars illico ! »

« Promis, chérie ! Si tu décides de venir, je ferais en sorte que tous les hommes présents soient accompagnés ! ! ! »

« OUF ! Merci. Tu marques un point… ! »

« Bien, je vais te laisser. Il faut que j’y aille. J’ai deux patients difficiles à voir aujourd’hui. »

« Bon courage, maman. Embrasse papa de ma part. »

« Je n’y manquerai pas. Bonne journée à toi aussi, ma puce. »

« A ce soir. Je t’appelle. »

« OK, à ce soir ! ».

 

Sacrée mère que la mienne, quand même ! Ce petit bout de femme, dont le point culminant se situe à 1m50 du sol, est psychothérapeute dans un Centre de détention près de New-York. A 59 ans et des poussières, je crois qu’elle a mérité amplement de pouvoir jouir d’une retraite que mon père, plus âgé, a prise depuis 4 ans. Lui était courtier en assurances. Ensemble, ils ont nous élevés, Mike et moi, dans le plus pur respect des lois humanitaires. Nous n’avons pas reçu d’éducation religieuse au sens propre du terme, mais ils nous ont appris les vertus de l’amour et de la tolérance. Ils nous ont également forcé à être curieux, à sans cesse nous interroger sur ce qui nous entourait et à ne jamais rien prendre pour argent comptant. Si mon frère n’a fait que peu d’usage de cette éducation pour le moins marginale aux yeux de certaines communautés, j’en ai pour ma part tiré le meilleur. C’est ce qui a décidé de ma vocation, tout autant que ma personnalité. Et c’est ainsi que je suis devenue journaliste et reporter. Si mes débuts furent « houleux », je n’ai jamais véritablement regretté ce choix. J’ai visité plus de pays en 10 ans que certains en toute une vie. Ce n’est pas rien !

Le temps de prendre ma douche, de m’habiller, et je constate qu’il est déjà 8h. J’ai ½ heure pour me rendre au boulot. Pas le temps de traîner à attendre un taxi ou à m’agglutiner dans les rames de métro. J’opte pour ma voiture, c’est plus simple. De plus, je connais des raccourcis que les chauffeurs de taxis n’empruntent jamais.

8h25. Je suis dans le parking de la « National Geographic Channel ». Je prends l’ascenseur direction le 15ème étage. J’entre dans mon bureau à 8h30 précises. Si ce n’est pas de la ponctualité, ça ! ! !

 

« Bonjour, mademoiselle Thorp ! Bien dormi ? »

« Bonjour, Ted ! Très bien dormi. Et toi ? »

« Seul…Anna…Toujours seul ! Quand vas-tu te décider à venir réchauffer mes nuits de ta présence ? »

« Probablement pas avant un bon demi siècle ! Tu n’as plus qu’à prendre ton mal en patience ! ! ! »

« Tu es dure avec moi ! Tu sais très bien que dans un demi siècle, j’aurai plus de 100 ans ! »

« Alors…Bon, quoi de neuf ce matin ? »

« Robert nous attend en salle de réunion à 9h pour, je cite : « préparer le prochain départ d’Anna ». A ton avis, ça veut dire quoi ? »

« Selon moi, je pense qu’il va donner le nom de l’heureux veinard qui va prendre ma place ici. »

« Et qui est-ce ? »

« Aucune idée ! »

« Anna….Ne me prends pas pour un bleu ! Je sais que Robert te l’a dit ! »

« Ah oui ? Et depuis quand te métamorphoses-tu en souris ? »

« Pfff…T’es pas drôle ! Et ce n’est pas en souris mais en moustique ! ! ! »

« Attention, Ted, je te rappelle que ma mère est psy ! ! ! »

« Et bientôt à la retraite… »

« Oui mais d’ici là, elle a le temps de venir t’offrir une petite séance gratuite…Tu as pris tes pilules, ce matin ? »

« Lesquelles ? Les rouges, les bleues ou les blanches et jaunes ? »

« Toutes ! Vu ton état…Faut au moins ça ! »

« Bien, je constate que tu es en grande forme ! On se retrouve chez le boss dans 20 minutes ? »

« A plus… »

 

Ted parti, j’allume les écrans de télévision qui jonchent mon bureau. Images sans le son, sinon, ce serait la cacophonie ! La pendule indique 8h47. Ai-je le temps d’aller me chercher un café ? Oui. Je suis de retour 5 minutes plus tard.

 8h53. Tous mes écrans me renvoient une seule et même image : un avion s’est encastré dans la Tour nord du Wall Trade Center à New-York. C’était il y a 5 minutes. Je reste là, pétrifiée, stupéfaite, interdite, la bouche bée devant un spectacle aussi inouï. Mon café entre les mains va certainement refroidir. Je n’en ai plus envie. Mes neurones tournent au ralenti. C’est comme ces films catastrophes dont nous sommes, nous, Américains, d’ordinaire si friands. Sauf que, d’habitude, cela se passe dans la fiction. Comment diable un avion peut-il s’être crashé dans une ville ? Une ville comme New-York ? Mon téléphone sonne. C’est Robert. Lui aussi a vu ce qu’aucun d’entre nous n’avait jamais osé imaginer. Les nouvelles vont vite, dirait-on, parce qu’une troupe s’est formée autour de mon bureau et regarde, hallucinée, les images renvoyées par les écrans télé. Personne ne comprend, c’est sûr, ce qu’il vient d’arriver. Nous avons quasiment tous des proches vivant à New-York. Je pense surtout à la jeune Jessica, notre standardiste, qui vient de fêter ses 22 ans et dont le petit ami, Jeffrey, travaille dans cette fameuse Tour nord, au 71ème étage. Je pense aussi à mon père dont les bureaux étaient situés au 59ème étage de cette même Tour. Si lui n’y travaille plus, il y a gardé de nombreux contacts avec d’anciens collègues devenus amis. J’en connais certains, tels que Ron Sheffield ou Susan Parker. Ils sont les amis de mes parents et nul doute qu’ils étaient conviés à la soirée de vendredi prochain. Je dis « ils étaient », car il me paraît peu vraisemblable que cette soirée ait désormais lieu. D’autant que d’après les images, l’avion aurait percuté approximativement le 60ème étage du building. Comment imaginer dès lors qu’ils aient pu s’en sortir ? J’ai un horrible pressentiment.



17/07/2008
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